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Avant le Cheval XIII, entre 1977 et 1990, je suis allé d'un échafaudage à l'autre pour mouler ou restaurer diverses sculptures, chef-d'œuvres ou simples parties d'une composition historique... 12 statues équestres plus ou moins, 3 grâces, un enlèvement (de Proserpine), un Saint Marc à Orsanmichele...
Ces chantiers étaient souvent complexes, sur plusieurs mois, dans des lieux captivants et chargés de paradoxes, avec un sérieux engagement technique.
Je dois ces aventures à Michel Bourbon dont j'étais l'assistant. Il est celui qui m'a ouvert à l'art et à quelques morts dont l'ombre mérite mesure et demesure.

En 1983, les 'Chevaux de Marly' originaux étaient situés aux quatre coins de la place de la Concorde à Paris. Il a fallu les mouler sur le site, puis avec ces moules, dans une usine de Villeneuve-le-Roi, réaliser des copies en marbre reconstitué. C'était une expérience nouvelle à cette échelle et un défi pour gérer la masse à couler jusqu'au plus petit poil de crinière. La finition était un jeu d'équilibre entre le cœur de la matière (marbre, quartz, ciments, chaux ...) et la laitance. L'une donnait la peau de la sculpture, l'autre la lumière minérale.

Ces quatres sculptures avaient connu plusieurs sites :
Louis XV vers 1750, commandant à Coustou deux sculptures plus à son goût pour le Château de Marly avait fait déplacer les Coyssevox (commandés par Louis XIV) à l'entrée du parc des Tuileries à Paris. La république vers 1793 les regroupa tous les quatre avec l'étiquette 'Chevaux de Marly' en ramenant les Coustou à l'angle des Champs Elysées, de l'autre coté de la place de la Concorde.

Michel Bourbon avait été chargé de réaliser des reproductions pour remplacer en extérieur les 4 groupes équestres. Les originaux prirent place dans la cour carrée du Louvre pour ponctuer l'ensemble de sculpture française du 18e ; nous avons commencé par mouler les 'Coustou' dont le premier tirage a remplacé les originaux place de la Concorde.
Un second tirage est allé réoccuper deux socles vides du parc de Marly. C'était très troublant de voir l'accord au lieu des deux copies sur les socles originels, la lumière de Marly, la forêt proche...
Ces deux sculptures de Coustou ont également facilité l'amitié entre Jack Lang et Francis Bouygues, le second ayant obtenu du premier l'autorisation bon marché de s'offrir une copie pour le siège social de son groupe industriel en pleine diversification (St Quentin-en-Yvelines). TF1 et le Louvre s'appropriant les mêmes oeuvres, à une réplique près.
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Les chevaux ailés de Coyssevox ont aussi connu plusieurs reproductions : dès le XVIIIe siècle, celui que l'on nomme ''Trompette de la Renomée' avait eu une copie en plomb installée sur le toit des grandes écuries du chateau de Chantilly ; sculpture démontée et fondu en diverses munitions autour de la révolution. Donc, quelques années après avoir effectuées les copies pour la Concorde, le Musée vivant du Cheval installé à Chantilly, nous a demandé de reconstituer une nouvelle copie en plomb.

Ill m'a d'abord été demandé de faire un gabarit échelle 1 en polystyrène (ci-dessous). Puis nous avons fait un moulage léger en stratifié de polyester recouvert de plomb battu-collé.
Je dois rendre à cette période 'Chantilly' des découvertes techniques autant que des images émues de chevaux vivants considérés eux aussi comme des pièces de musée.
Le "musée vivant" ne pouvait arriver qu'à des chevaux ou des phasmes. Pour les autres animaux on dit Zoo.
Nouvelle friction entre création et restauration : au moment ou nous installions, avec Michel, la copie minérale de cette pièce sur son socle encore tagué, à quelques semaines près, Raymond Hains exposait une copie en polystyrène du socle (avec reconstitution des tags) dans la galerie Eric Fabre à Paris. L'une des histoires sans fin de Hains partait de Lemot (Statut équestre à Lyon), en passant par Coustou (qui collabora avec Lemot) pour arriver à Bernini par des jeux de (le) mots astucieux. Ce genre de coïncidence n'émouvait surement que moi.
L'année suivante, préparant la biennale de Lyon en tant qu'artiste dans mon atelier, Eric Fabre et Raymond Hains informés de ma double vie, m'avaient demandé si je pouvais faire un moulage du socle avec la même exigence et la même matière que celle de la sculpture reconstituée. Raymond Hains participait aussi à la biennale et il voulait tenter une pièce plus "présente". Pour des raisons financières ce ne fut pas possible.

J'aurais aimé faire les répliques des deux étages de cette œuvre, l'une dans l'esprit du patrimoine manipulant la plastique du Bernin, l'autre pour l'affabulateur raffiné Hains et sa mise en abîme de tout ce qui se prétend art. Finalement à la biennale de Lyon, c'est le socle en polystyrène qui a été ré-exposé. J'ai présenté un criquet géant.
5 ans plus tard, j'ai tout de même réalisé pour Raymond Hains et sa galerie un fragment du socle de la sculpture lyonnaise de Lemot.
La statut équestre de 'Louis XIV en Appolon', réalisée par Le Bernin pour Versailles m'a également beaucoup occupé aux cotés de Michel Bourbon, pour plusieurs copies et donc plusieurs années. L'original avait connu un étrange destin dès l'origine puisque le roi n'avait pas aimé son portrait. Après avoir demandé à Girardon, sculpteur officiel à Versailles de retoucher le portrait fait à Rome par Le Bernin, il a finalerment exilé cette sculpture au bout du 'plan d'eau des Suisses', loin du parc, invisible par la cour et pour 250 ans. L'ensemble du processus avait duré au moins 25 ans, au=delà de la mort du Bernin. En 1974 des bretons indépendantistes l'ont copieusement taguée, ramenant la scilpture dans une autre actualité, alors rentrée dans les grandes écuries de Versailles et nettoyée. Nous l'avons moulée en 1986.
Quelques temps après nous avons réalisé un tirage en plâtre (moule ouvert) pour la fonderie de Coubertin qui réalisa le plomb qui se trouve à l'entrée de la pyramide du Louvre. En 1990, j'ai porté, un peu plus en solo, une seconde copie en marbre reconstitué dans le même moule. Gros travail de coulée, de finitions, puis retour sur le socle originel, au bout du 'plan d'eau des Suisses'.


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Lorsque nous étions sur les échafaudages autour des chevaux de Coustou, Richard Serra venait d'exposer une première fois 'Clara-Clara' sur le même axe, tout près des chevaux.
Ce télescopage m'a réjoui. Serra - Coustou dialoguaient simplement dans le continuum urbain alors que c'était si segmenté dans les musées...

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