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Le relevé sur calque de tous ces fragments a permis de reconstituer l'ensemble en exploitant la symétrie du décor des cadrans traditionnels.
Par ailleurs le fait de dessiner les vestiges originaux permet de garder leur trace tout le long de la restauration. C'est d'autant plus important lorsque ces traces originales occupent un faible pourcentage de la surface globale du cadran (et que l'on risque de les recouvrir).
Ci-contre : application du fixatif spécifique (Paraloïd), qui pénètre dans l'enduit sur quelques millimètres et consolide la surface. Ce fixage densifie également les couleurs originelles et permet de retrouver certains détails.
Nous avons eu la confirmation, par les fragments observables, d'une gamme chromatique et d'une géométrie riches : traces d'un baldaquin, gravé dans l'enduit puis peint (badigeon de chaux) avec des terres de Sienne, naturelle et brûlée. Le cadre des chiffres associant du bleu outremer et du caput mortuum, on observait également l'extrémité de la ligne équinoxiale soulignée de bleu intense et sous cette ligne les vestiges du chiffre 6.
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Les plus gros trous dans la surface du cadran ont été bouchés avec un mortier de chaux hydraulique naturelle. Maçonnerie de précision pour ne pas recouvrir les fragments originaux.
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L'étape suivante consistait à repositionner le style précisément grâce à un gabarit. Scellement du style avec un mastic de résine époxy.
Une fois le style posé, bouchage des accidents de surface avec un micro mortier de chaux aérienne, poudre de marbre et sable tamisé.

Chaque vestige de motif, reporté symétriquement, retrouve ici ou là un fragment de couleur qui en confirme la place.
Le tracé horaire recalculé correspondait de même aux quelques (traces de) chiffres encore en place.

Une fois ce dessin général reconstitué, la réintégration des couleurs a pu s'étendre à partir des fragments conservés, ponctuels et vifs ! Travail d'enquète formel très gratifiant.

Aucune maxime dans l'emplacement dédié. Après un appel à suggestions (procédé propre aux créations de cadrans), nous avons retenu un proverbe suggéré par une habitante, recoupant une actualité politique des alpages, (peut-être) atténué par le latin quant à son sens paranoïaque : l'homme est un loup pour l'homme. Or, c'était plutôt une mauvaise idée dont je veux bien assumer la responsbilité, inutilement clivante (un peu idiote aussi), qui montre une limite des dynamiques contributives si on n'organise pas des discussions critiques (qui prennent du temps) ! L'année suivante, retour du blanc (ci-dessous).

Progressivement il est apparu que ce cadran appartenait à une typologie de la haute vallée de l'Ubaye, semblable par sa géométrie et son décor à deux cadrans, l'un situé à Serennes, l'autre à Maljasset. En recoupant ce qu'ils avaient en commun, les pots de fleurs qui n'étaient plus que quelques zones de couleurs se sont imposés.
La même confronation stylistique nous a encouragé vis-à-vis du chiffre des dizaines de la date qui avait également disparu : les deux autres cadrans étant datés 1860 nous avons considéré que la proposition était soutenable (avec un ton plus clair...)
Les deux autres cadrans "cousins" ayant chacun leur "oiseau politique" au sommet de l'édicule (le coq à Serennes, l'aigle à Maljasset), dans la surface dédié, sans trace de ligne ni de couleur, la même dynamique comparative nous a encouragé à faire une proposition d'oiseau. Celui-ci marque simplement la réapparition du cadran : un phénix (lui aussi plus clair et en grisaille, par rapport aux éléments avérés du cadran).
Après quelques années, c'est un motif qui vieillit mal et qui mériterait probablement le même traitement que la maxime...

Les différentes phases de cette restauration se sont développées de manière surprenante et logique. Nous avancions en fonction de petits indices découverts ici ou là, et les échanges avec les personnes concernées (la communauté du village) validaient certains choix, de manière très rapide.
Cette temporalité du chantier (deux semaines) s'est un peu télescopée avec la quantité de formes à réintégrer.

J'ai souvent des pulsions de "dé-restauration" devant certains gestes, en général sur la restauration des autres ! Mais il convient d'observer que chaque situation déborde l'objet et le nourrit, de manière plus ou moins respectueuse de la charte de Venise ! Et les cadrans qui sont des objets radicalement "situés" m'ont enseigné au fil des années à articuler l'éthique (et les techniques) de la restauration avec des contextes culturels hybrides : vernaculaires, scientifiques, identitaires, artistiques, cosmotechniques... D'une charte à l'autre, les cadrans solaires s'inscrivent pleinement dans la logique des droits culturels tels que la charte de Fribourg (2007) les a proposés à nos usages socio-politiques du 21e siècle. Ne faudrait-il pas y adjoindre la charte de Faro qui accompagne celle de Fribourg sur le versant des patrimoines ?

Merci à Bernard et Christiane ANDRE qui ont porté l'énergie collective sans laquelle cette restauration n'aurait pas été possible. Travailler dans ce contexte fut une bien belle aventure.
Maison MARTARELLO - DEGAS
La Barge, Saint-Paul sur Ubaye
Restauration fin juillet 2011. Cadran très détèrioré, mais en l'observant de près, il manifestait des qualités à investir...
Mr et Mme Martarello et Brigitte Degas ont été soutenus par tout le village de La Barge pour engager cette restauration. Initiative collective assez remarquable. Solidairité qui souligne probablement le statut singulier du cadran solaire : attaché à une maison et tourné vers l'espace du village pour un temps partagé...
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En fonction de la déclinaison du mur par rapport au Sud et de la latitude du lieu, se déduisent les principales lignes du tracé horaire, dont la ligne équinoxiale.
Le chiffre 6 étant bien conservé, en calculant l'inclinaison de la ligne de 6h, le point de scellement du style se retrouve à l'intersection de la ligne de midi, verticale au centre.