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La partie supérieure du cadran était en partie détériorée par l'installation d'une ligne électrique postérieure à la dernière restauration (visible sur la photo ci-dessus).
Divers scellements ont ainsi détruit les lignes supérieures du cadre et une partie du blason. C'est en enlevant ces scellements de ciment prompt que j'ai découvert par hasard les zones où l'enduit de 1801 recouvrait le blason : une maxime associée au blason est alors apparue. Sur la partie gauche, elle était bien lisible : "APERTA".

Ci-contre, on peut voir le blason dans son état repeint de 1801. Les photos ci-dessous montrent la réapparition de la maxime du XVIIIe siècle, par grattage au scalpel.

La difficulté a été de reconstituer le versant droit de cette maxime car, même si on pouvait identifier un R et un T, le reste du mot avait disparu, probablement en 1801. Il a fallu la perspicacité de Françoise Alexandre et ses qualités de détective latiniste, pour retrouver ce deuxième mot : "PORTA". Un indice déterminant se trouvait dans le dessin du blason lui-même, sous la forme de cette grande porte claire signifiant probablement qu'elle était ouverte.
Dans cette zone frontalière des Alpes, on peut imaginer qu'une telle maxime avait tout son sens au XVIIIe siècle et suffisamment moins au XIXe pour qu'il soit admissible de la recouvrir. "Il n'est pas exclu que la bâtisse ait été au XVIIIe une auberge et que la devise ait été recouverte lorsqu'elle a cessé de l'être. Il y avait en tout cas plusieurs auberges au Mélézen, au XIXe" (F.A.).
Ci-dessous, photo à gauche, deux strates de couleur sur l'étoile :
- la majeure partie, dans des tons gris et ocre rose, réalisée en 1801. Ces couleurs étaient obtenues avec un badigeon de chaux dense, appliqué sur un enduit encore frais, produisant une couche picturale solide mais plutôt "pastel".
- Un reste ponctuel de l'intervention du début du XXe siècle, bleu outremer et ocre rouge soutenus. Les couleurs sont plus vives, probablement parce qu'elles étaient appliquées sous forme de badigeons peu chargés en chaux : on aperçoit des pointes d'étoiles ci-dessus où les couleurs sont vives, mais elles n'ont pas résisté sur la partie basse du cadran moins abritée par le toit.

Ci-dessous à droite, j'applique un fixatif spécifique pour les peintures murales (Paraloïd, maintenant bien connu pour ces usages), qui consolide les couches superficielles des badigeons . Dans cette opération les couleurs sont également densifiées et un certain nombre de détails réapparaissent.
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Cadran solaire, maison Charles, Le mélézen, Saint-Paul sur Ubaye

En commençant la restauration, j'ai découvert trois niveaux d'interventions correspondant par endroit à des couches picturales superposées, et à d'autres endroits substituées.
La date visible 1801 correspond à la seconde intervention, qui a donné sa géométrie principale au cadran, le cadre, les étoiles, le tracé horaire.
Il s'est avéré que cette couche recouvrait la bordure du blason sommital (avec un badigeon et une épaisseur d'enduit par endroit). Par déduction, et en tenant compte de la différence de dureté des enduits et des manières de peindre, le blason semble être conservé d'un cadran plus ancien.
La création du premier cadran "au blason" peut être estimée de 1 à 3 génération(s) antérieure à 1801 : environ 1750 (estimation liée à l'âge moyen des plus anciens cadrans en Ubaye et à la périodicité des restaurations liées à l'usure des badigeons sur la partie basse du cadran).
Les deux lettres I D, (Jean ou Jean-Joseph Devars), appartiennent à l'intervention n°2. Néanmoins ID pouvait être associé au blason de la famille Devars à un autre emplacement dans le cadran n° 1. D'après des archives qu'elle a récemment analysées, Françoise Alexandre observe : "sur plusieurs générations les Devars s'appellent Jean ou Joseph ou Jean-Joseph. Les fils aînés de ces familles un peu à l'aise portaient toujours le même prénom. Et cela a continué après le début de l'émigration au Mexique, car ce sont surtout les cadets qui partaient". Lorsque on trouve une multiplication d'initiales sur les cadrans, c'est généralement le signe d'un mariage ou d'un héritage.
La "troisième couche" est une restauration plus récente (début du XXe siècle probablement). Seulement visible dans la partie haute du cadran elle a consisté à remettre du bleu vif et un ocre rouge soutenu sur les lignes du cadre, les étoiles et les initiales. Un chaînage d'angle avait été simultanément peint sur la façade avec les même couleurs.


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Ci-contre et ci-dessous : le cadran est nettoyé de ses enduits parasites, et le fixatif a été appliqué sur toute la surface. Par "l'ouverture" supérieure dans l'épaisseur de l'enduit, ce même fixatif et du caséate de chaux ont été injectées.

On peut lire à gauche la maxime de 1801 :

HIS UTERE / UNAM TIME.
Traduction proposée par Françoise Alexandre :
Tire parti de ces heures-ci, crains-en une.
Photo ci-contre :
le bouchage des grosses fissures a été effectué avec du mortier de chaux hydraulique naturelle et du sable. Cet enduit apparaît coloré lorsqu'il est frais, et il s'accorde au ton du vieil enduit (contenant des sables et argiles diverses) lorsqu'il est sec.
Les micro fissures sont bouchées avec du mortier fin de chaux aérienne.
Roger Caillois : "En somme l'hypothèse revient à imaginer qu'il existe, chez les êtres vivants en général, une tendance à produire des dessins colorés et que cette tendance donne notamment, aux deux extrémités de l'évolution, les ailes des papillons et les tableaux des peintres."
Je n'ai pas pu vérifier la thèse de Roger Caillois selon laquelle il apparaîtrait dans le monde biologique en général un ordre esthétique autonome, et sur ce cadran une confrontation d'harmonies voisines (même si cette thèse me séduit)... par contre j'ai souvent observé des papillons fortement attirés par l'odeur du Paraloid B72 ou plus probablement par celle de son solvant.
Ci-dessus : une fois réalisé le bouchage des trous et fissures, la réintégration des tons s'est mise en place selon une règle simple : les trois états successifs du cadran solaire ont été articulés dans la mesure du possible, en respectant ce que le temps avait déjà engagé et en restituant simplement le philactère du blason : Il cohabite avec sa maxime dans le cadre de 1801, les couleurs vives du XXe siècle n'ont pas été enlevées là où elles résistaient. Dans le rond central par exemple (photo ci-dessus à gauche), les différentes couches ont été laissés en l'état : on discerne la couleur terre d'ombre de 1801 et des vestiges de bleus du début du XXe siècle...

J'ai fabriqué un style et l'ai ressoudé sur l'axe encore solidement scellé. Lorsque le style a retrouvé son orientation correcte (parallèle à l'axe du monde, dans le plan méridien), le tracé horaire s'est avéré globalement juste.
Ce cadran solaire a été restauré au mois d'août 2011, à l'initiative de l'association "Temps Partagés". C'était le premier chantier réalisé dans le cadre de ses missions : sauvegarde, mise en valeur et compréhension du patrimoine  passé, présent et à venir de cadrans solaires de la vallée de l'Ubaye, à travers des actions culturelles à caractère artistique, scientifique ou pédagogique.
Cette association a été créée par Françoise Alexandre et moi-même, avec la complicité de Régis Benichi et Robert Mégy.

Ci-contre : vue du cadran en 1980 (Photo Pierre Martin-Charpenel). Situé à l'abri du toit et fortement déclinant vers l'Est (éclairé à mi-temps), il était bien conservé. Ce cadran solaire indique le temps local. Le style a été cassé, puis restauré par l'Abbé Jarry dans les années 60 avec une petite tôle d'aluminium ligaturée. En 1980, cette restauration qui était de toute façon trop proche du mur était en plus mal orientée. Lorsque je l'ai trouvée cette année, l'aiguille avait été remise à peu près parallèle au plan méridien.
Télécharger des documents de l'association "Temps partagés" :
missions et bulletin d'inscription